Attendu que les valeurs de la République et les valeurs du service public constituent le cur de l'enseignement dispensé dans les grandes écoles de la République, qu'Alain Juppé a précisément été formé dans celles-ci, qu'il a ensuite exercé comme haut fonctionnaire puis joué un rôle éminent dans la vie publique notamment comme membre du Parlement, ceci excluant qu'il ait ignoré l'état du droit au regard des faits dont il est déclaré coupable [...]
Attendu qu'aux termes de l'article 4 de la Constitution "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale..." ; qu'ainsi est notamment rappelé leur soumission à la loi, expression de la souveraineté nationale, devant laquelle "tous les citoyens" sont égaux ; qu'Alain Juppé dans la quête de moyens humains lui apparaissant nécessaires pour l'action du RPR a délibérément fait le choix d'une certaine efficacité en recourant à des arrangements illégaux [...]
Que la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi ; qu'agissant ainsi, Alain Juppé a, alors qu'il était investi d'un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain. [...]
Me Francis Szpiner, avocat d'Alain Juppé :
" Naturellement, nous allons faire appel de ce jugement qui nous paraît contestable et injuste. Le tribunal a voulu écarter M. Juppé de la vie politique. C'est la décision d'une justice qui veut se mettre au-dessus de la vie politique sur la base d'un dossier dont les éléments sont contestables. "
Eric Raoult :
Sur France 2, le député UMP de Seine-Saint-Denis a accusé les juges du tribunal de Nanterre d'avoir " fait plus de politique que de juridique dans leurs attendus " du jugement. [Libé]
Jean-Pierre Raffarin, premier ministre :
Jacques Chirac, président de la République :
Alain Juppé " est un homme politique d'une qualité exceptionnelle de compétence, d'humanisme, d'honnêteté. La France a besoin d'hommes de sa qualité ", a dit le chef de l'Etat d'un ton grave lors d'une brève allocution à l'hôtel de ville de Marseille.
LIVRE IV ; Des crimes et délits contre la nation, l'Etat
et la paix publique
TITRE III ; Des atteintes à l'autorité de l'Etat
CHAPITRE IV ; Des atteintes à l'action de justice
Section 3 ; Des atteintes à l'autorité de la justice
Paragraphe 1 ; Des atteintes au respect dû à la justice
article 434-16
La publication, avant l'intervention de la décision juridictionnelle définitive, de commentaires tendant à exercer des pressions en vue d'influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d'instruction ou de jugement est punie de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende.
Lorsque l'infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.article 434-25
Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d'une décision.
Lorsque l'infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
L'action publique se prescrit par trois mois révolus, à compter du jour où l'infraction définie au présent article a été commise, si dans cet intervalle il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.
(Ordonnance nº 2000-916 du 19 septembre 2000 art. 3 Journal Officiel du 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002)
source : le site de Légifrance
Paris, le 2 février 2004
RESPECTER L'INDÉPENDANCE DES JUGES
Le Tribunal correctionnel de Nanterre a rendu son jugement dans l'affaire concernant Alain Juppé, plusieurs cadres du RPR et des chefs d'entreprise. La LDH relève avec consternation l'attitude du Premier ministre et d'autres responsables politiques qui poursuivent leur campagne de dénigrement des juges du siège.
Tout en réaffirmant que toute décision de justice peut être soumise à critique, il n'appartient pas aux membres de l'exécutif de tenter de dicter à l'institution judiciaire ses jugements.
Cette attitude est d'autant plus préoccupante qu'elle s'inscrit dans un contexte où le gouvernement manifeste, dans ses pratiques et par la loi, sa volonté d'assujettir le Parquet à ses desiderata.
À cet égard, il est pour le moins surprenant que le président de la République ait cru devoir désigner une Commission d'enquête administrative sur les faits dénoncés par les magistrats du Tribunal correctionnel de Nanterre alors qu'une instruction judiciaire doit être ouverte.
Bien que sa composition offre toutes les garanties d'indépendance, cette mesure s'apparente à un nouveau désaveu de l'institution judiciaire qui, seule, a les pouvoirs et la légitimité pour enquêter sur des faits délictueux de cette nature.
Paris, le 3 février 2004
L´Exécutif, à l´assaut de la justice
Le Syndicat de la magistrature prend connaissance avec consternation des déclarations des membres du gouvernement à la suite de la condamnation d´Alain Juppé, le 31 janvier dernier, par le tribunal correctionnel de Nanterre.Le soutien public apporté par le Premier ministre, qualifiant la décision du tribunal de « provisoire », et les multiples déclarations partisanes des autres membres du gouvernement constituent une intolérable atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et une pression évidente sur les magistrats de la cour d´appel de Versailles qui seront ultérieurement amenés à juger Alain Juppé.
Dans toute démocratie digne de ce nom, à l´exception de l´Italie où les pressions de M. Berlusconi et de ses amis sont quasi quotidiennes, de tels propos ouvriraient immédiatement une grave crise politique et institutionnelle.
Le Syndicat de la magistrature s´inquiète également de la volonté exprimée par une partie de la classe politique de remettre en cause la loi du 19 janvier 1995, votée sous une majorité parlementaire de droite, et qui entraîne de plein droit l´inégibilité de tout électeur condamné notamment pour prise illégale d´intérêt. Le Syndicat de la magistrature rappelle que cette loi faisait suite à la révélation de nombreuses affaires politico-financières impliquant des hommes politiques de droite comme de gauche et qu´elle constituait un modeste début de prise de conscience des lourdes conséquences de la corruption pour la vie politique du pays.Sa remise en cause, au moment même où l´indépendance de l´institution judiciaire n´a jamais été aussi menacée, notamment au travers du projet de loi Perben II qui place sous tutelle de l´exécutif l´ensemble des magistrats du parquet, dont les pouvoirs sont considérablement renforcés au détriment des magistrats du siège, constitue une très grave régression démocratique.
Enfin, la demande, par le président de la République, de création d´une commission administrative pour enquêter sur les pressions subies par les juges de Nanterre, qui, au passage ignore superbement le Conseil supérieur de la magistrature, apparaît frappée d´illégalité. Dépourvue de tous moyens légaux d´investigation, cette commission ne pourrait que constituer une entrave aux investigations menées dans le cadre de l´information judiciaire ouverte sur ces pressions.Le président de la République, solidaire d´Alain Juppé, est décidément le plus mal placé pour assumer sa mission de gardien de l´indépendance de la magistrature que lui confère la Constitution.
Le Syndicat de la magistrature appelle à une forte mobilisation et organisera dans les jours et semaines qui viennent des manifestations contre ces multiples atteintes à l´indépendance de la magistrature.
N'oublions pas que nous avons toujours considéré que cette infraction créée par une ordonnance gaulliste de décembre 1958 constituait une atteinte à la liberté d'expression et n'avons cessé d'en demander la suppression ( même si la rédaction de l'article 434-25 du Nouveau code pénal est un peu plus restrictive que celle de l'article 226 ancien). Ce texte aurait constitué contre Zola, s'il avait alors existé, la meilleure base des poursuites engagées contre lui. Et nous avons critiqué bien des décisions judiciaires qui nous ont choqués. Considérerions nous avec une révérence silencieuse, les jugements qui touchent des militants syndicaux ou associatifs? Ce droit que nous revendiquons, nous ne pouvons le contester aux autres.
Ce qui est choquant en la circonstance c'est que les critiques émanent des plus hautes autorités de l'État alors qu' aux termes de l'article 64 de la Constitution, l'indépendance du pouvoir judiciaire est garantie par le Président de la République. Les juges ne sont certes pas élus. Mais la justice est une institution démocratique et tous les jugements sont rendus " au nom du peuple français ". C'est pour que ce peuple reste vigilant à l'égard de ceux auxquels il a délégué ses pouvoirs que la justice est rendue publiquement depuis le décret du 8 octobre 1789. Certes on pourrait dire que ces déclarations intempestives ( qui nous rappellent celles qui entourèrent la condamnation de Henri Emmanuelli) "portent atteinte à l'autorité et à l'indépendance de la justice". Mais il m'apparaît que c'est aux citoyens de réagir et non aux tribunaux qui entreraient alors dans un jeu de riposte à l'exécutif qui serait suspect de manquer de l'impartialité nécessaire à tout juge.
illustration de Dominique Hasselmann - LDH Paris