juillet
2002 : l'affaire Maurice Audin reste un meurtre politique sans cadavre ni issue
judiciaire
une rue Maurice Audin à Paris
Robert Badinter : l'heure de la vérité
mai
2004 : une place Maurice Audin à Paris
En 1957, Maurice Audin était âgé de 25 ans et père de trois enfants. Ce jeune mathématicien de l'Université d'Alger était membre du parti communiste algérien, dissous trois ans plus tôt. Il fut arrêté à son domicile, par des hommes du 1er régiment de chasseurs parachutistes, le 11 juin 1957 vers 23 heures. Torturé par l'armée française, il devait décéder le 21 juin, mais son corps n'a jamais été retrouvé. Josette Audin a déposé, en mai 2001, une plainte " contre X pour séquestration " et pour " crimes contre l'humanité ". On sait que, dès lors qu'il y a un disparu, l'infraction continue de courir jusqu'à ce que le corps soit retrouvé. Josette Audin fait partie des douze personnalités ayant signé, le 31 octobre 2000, un texte appelant les autorités françaises à condamner la torture et les nombreuses exécutions sommaires commises en Algérie entre 1954 et 1962. "Ce ne sont pas les propos d'Aussaresses qui sont seulement en cause, indique-t-elle. Ce sont les faits. Il faudrait que la réprobation dépasse sa personne et englobe tous les responsables, qu'ils soient civils ou militaires. Au-delà de la procédure judiciaire, il faut une reconnaissance officielle et une condamnation. C'est facile de condamner Pinochet ou les auteurs du génocide arménien, il faut aussi le faire quand les crimes ont été commis par des Français ." |
![]() Maurice Audin Son fils Pierre nous écrit : |
Le mercredi 10 juillet 2002, le juge d'instruction Jean-Paul Valat a rendu une ordonnance de refus d'informer après la plainte déposée en mai 2001 par Josette Audin.
Sa décision écarte d'abord la qualification de " crime contre l'humanité ". Faisant application d'une jurisprudence établie, le magistrat estime que cette incrimination, introduite dans le code pénal en 1994, ne peut être appliquée rétroactivement, rappelant que, antérieurement à cette date, le droit français incriminait seulement les crimes contre l'humanité commis par les puissances de l'Axe pendant la seconde guerre mondiale. L'" enlèvement " est lui aussi écarté puisque, selon le juge, la Cour de cassation a confirmé, en 1966, le non-lieu prononcé pour cause d'amnistie en 1962.
Pour nier la qualification de "séquestration", infraction qui se prolonge et n'est donc pas couverte par l'amnistie, le juge tire argument du fait que Mme Audin a porté plainte pour " homicide volontaire" dès juillet 1957 et que, plus tard, elle a " accepté un dédommagement pour le préjudice résultant du décès de son mari ", pour affirmer qu'elle est " persuadée -depuis cette date- (...) que son mari est mort ". Ainsi, selon l'ordonnance, " la qualification de séquestration (...) n'a pour but que de tenter d'échapper aux différentes causes d'extinction de l'action publique ".
[source : Le Monde 14-15 juillet 2002]
Robert Badinter : l'heure de la vérité
" J'ai conservé dans ma bibliothèque ce dessin de Tim [ paru dans l'Express en 1960, avec pour légende : "Accusé Audin, levez-vous" ]. Pour moi, toute la cruauté et l'hypocrisie de la justice pendant la guerre d'Algérie y sont inscrites. Maurice Audin, jeune universitaire à Alger, communiste, suspecté d'aider le FLN, avait été arrêté par les parachutistes au printemps de 1957. Interrogé, il était mort sous la torture. On avait alors camouflé le meurtre en évasion et fait de la victime un fuyard. Comme Maurice Audin avait été arrêté pour atteinte à la sûreté de l'Etat, la justice militaire avait imperturbablement continué les poursuites. Et, alors que l'on connaissait sa fin tragique, l'autorité judiciaire avait cité Maurice Audin mort à comparaître devant le tribunal militaire d'Alger. Rarement le cynisme officiel avait été porté à pareil degré d'incandescence. […]
L'exigence de vérité demeure, rendue plus forte encore parce que justice ne peut être faite. Rien n'est plus important pour les victimes et leur famille que de voir la vérité établie. "
Robert Badinter - Le Nouvel Observateur - 14 décembre 2000
vu par Siné
maj le 18/05/04